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  Thèbes : Karnak et Louxor

Nous arrivâmes vers midi sur le sol de Thèbes : nous vîmes à trois quarts de lieue du Nil les ruines d’un grand temple, dont aucun voyageur n’a parlé, et qui peut donner la mesure de l’immensité de cette ville, puisqu’à supposer que ce fôt le dernier édifice de sa partie orientale, il se trouve à plus de deux lieues et demie de Médinet-Habou, oò est le temple le plus occidental. C’était la troisième fois que je traversais Thèbes ; mais comme si le sort eôt arrêté que ce fôt toujours en hâte que je verrais ce qui devait autant m’intéresser, je me bornai encore cette fois à tâcher de me rendre compte de ce que je voyais, et à noter ce que j’aurais à prendre à mon retour, si j’étais plus heureux. Je cherchais à démêler si, à Thèbes, les arts avaient eu des époques et une chronologie : s’il avait existé un palais en Égypte, ce devait être à Thèbes qu’il fallait en chercher les restes, puisque Thèbes en avait été la capitale ; s’il y avait des époques dans les arts, les résultats de ces premiers essais devaient être aussi dans la capitale, le luxe et la magnificence ne s’éloignant que progressivement de ce premier point, puisqu’ils ne marchent qu’avec l’opulence et le superflu.
Enfin nous arrivâmes à Karnak, village bâti dans une petite partie de l’emplacement d’un seul temple, qui, comme on l’a dit, a effectivement de tour une demi-heure de marche : Hérodote, qui ne l’avait pas vu, a donné une juste idée de sa grandeur et de sa magnificence ; Diodore de Sicile et Strabon, qui n en virent que les ruines, semblent avoir donné la description de son état actuel ; tous les voyageurs, qui tout naturellement ont dô paraître les copier, ont pris l’étendue des masses pour la mesure de la beauté, et, se laissant plutôt surprendre que charmer, en voyant la plus grande de toutes les ruines, n’ont pas osé leur préférer le temple d’Apollinopolis à Edfou, celui de Tintyra [Dendara ou Dendérah], et le seul portique d’Esnèh [Esna] ; il faut peut-être renvoyer les temples de Karnak et de Louxor au temps de Sésostris [Ramsès II] oò la fortune venait d’enfanter les arts en Égypte, et peut-être les montrait au monde pour la première fois. L’orgueil d’élever des colosses fut la première pensée de l’opulence : on ne savait point encore que la perfection dans les arts donne à leurs productions une grandeur indépendante de la proportion ; que la petite rotonde de Vicence est un plus bel édifice que Saint-Pierre de Rome ; que l’École de chirurgie de Paris est aussi grandiose que le Panthéon de la même ville ; qu’un camée peut être préférable à une statue colossale. C’est donc la somptuosité des Égyptiens qu’il faut voir à Karnak, oò sont entassées non seulement des carrières, mais des montagnes façonnées avec des proportions massives, une exécution molle dans le trait, et grossière dans l’appareil, des bas-reliefs barbares, des hiéroglyphes sans goôt et sans couleurs dans la manière dont la sculpture en est fouillée. Il n’y a de sublime pour la dimension et la perfection du travail que les obélisques, et quelques parements des portes extérieures, qui sont d’une pureté vraiment admirable ; si les Égyptiens dans le reste de cet édifice nous paraissent des géants, dans cette dernière production ce sont des génies : aussi suis-je persuadé que ces sublimes embellissements ont été postérieurement ajoutés à ces colossaux monuments. On ne peut nier que le plan du temple de Karnak ne soit noble et grand ; mais l’art des beaux plans a toujours devancé en architecture celui de la belle exécution des détails, et lui a toujours survécu plusieurs siècles après sa corruption, comme l’attestent à la fois les monuments de Thèbes comparés à ceux d’Esnèh [Esna] et de Tintyra [Dendara ou Dendérah], et les édifices du règne de Dioclétien comparés à ceux du temps d’Auguste.
Il faut ajouter aux descriptions connues de ce grand édifice de Karnak que ce n’était encore qu’un temple, et que ce ne pouvait être autre chose ; que tout ce qui existe est relatif à un très petit sanctuaire et avait été ainsi disposé pour inspirer la vénération dont il était l’objet, et en faire une espèce de tabernacle. À la vue de l’ensemble de toute cette ruine, l’imagination est fatiguée de la seule pensée de le décrire : étant dans l’impossibilité d’en faire un plan, j’en traçai seulement une image pour m’assurer un jour que ce que j’avais vu existait ; il faut que le lecteur se dise que des cent colonnes du seul portique de ce temple, les plus petites ont sept pieds de diamètre, et les plus grandes en ont onze ; que l’enceinte de sa circonvallation contenait des lacs et des montagnes ; que des avenues de sphinx amenaient aux portes de cette circonvallation ; enfin que, pour prendre une idée vraie de tant de magnificence, il faut croire rêver en lisant, parce que l’on croit rêver en voyant ; mais en même temps il faut se dire relativement à l’état présent de cet édifice que sa destruction défigure une grande partie de son ensemble ; tous les sphinx sont tronqués méchamment : fatiguée de détruire, la barbarie en a cependant négligé quelques-uns ; ce qui a pu faire voir qu’il y en avait qui étaient à tête de femme, d’autres à tête de lion, de bélier, et de taureau : l’avenue qui se dirigeait de Karnak à Louxor était de cette dernière espèce ; cet espace, qui est d’à peu près une demi-lieue, offre une suite continuelle de ces figures parsemées à droite et à gauche, ~ de murs en pierre, de petites colonnes, et de fragments de statues. Ce point étant le centre de la ville, le quartier le plus avantageusement situé, on doit croire que c’était là qu’était le palais des grands ou des rois ; mais si quelques vestiges peuvent le faire présumer, aucune magnificence ne le prouve.
Louxor, le plus beau village des environs, est aussi bâti sur l’emplacement, et à travers les ruines d’un temple moins grand que celui de Karnak, mais plus conservé, le temps n’ayant point écrasé les masses de leur propre poids. Ce qu’il y a de plus colossal, ce sont quatorze colonnes de dix pieds de diamètre, et, à sa première porte, deux figures en granit, enterrées jusqu’à la moitié des bras, devant lesquelles sont les deux plus grands obélisques connus et les mieux conservés. Il est sans doute glorieux pour les fastes de Thèbes que la plus grande et la plus riche des républiques ne se soit pas cru assez de superflu, non pour faire tailler, mais seulement pour tenter de transporter ces deux monuments, qui ne sont qu’un fragment d’un seul des nombreux édifices de cette étonnante ville.
Une particularité du temple de Louxor, c’est qu’un quai, revêtu avec un épaulement, garantissait la partie orientale qui avoisinait le fleuve des dégradations qu’auraient pu y causer les débordements : cet épaulement, réparé et augmenté en briques dans un temps postérieur, prouve que le lit du fleuve n’a jamais changé ; et la conservation de cet édifice, que le Nil n’a jamais été bordé d’autres quais, puisque dans toutes les autres parties de la ville on ne trouve pas d’autres vestiges de cette espèce de construction.
Je fis, malgré l’ardeur excessive d’un soleil de midi, un dessin de la porte du temple, qui est devenue celle du village de Louxor ; rien de plus grand et de plus simple que le peu d’objets qui composent cette entrée ; aucune ville connue n’est annoncée aussi fastueusement que ce misérable village, composé de deux à trois mille habitants, nichés sur les combles, ou tapis sous les plates-formes de ce temple, sans cependant que cela lui donne l’air d’être habité.
Pendant que je dessinais, notre cavalerie était aux prises avec quelques mamelouks égarés, dont ils en tuèrent deux, et prirent les armes et les chevaux de ceux qui trouvèrent leur salut en gagnant l’autre rive à la nage.
 
     
  thebes: karnak et louxor

nous arrivames vers midi sur le sol de thebes: nous vimes a trois quarts de lieue du nil les ruines d'un grand temple, dont aucun voyageur n'a parle, et qui peut donner la mesure de l'immensite de cette ville, puisqu'a supposer que ce fut le dernier edifice de sa partie orientale, il se trouve a plus de deux lieues et demie de medinet-habou, ou est le temple le plus occidental. c'etait la troisieme fois que je traversais thebes; mais comme si le sort eut arrete que ce fut toujours en hate que je verrais ce qui devait autant m'interesser, je me bornai encore cette fois a tacher de me rendre compte de ce que je voyais, et a noter ce que j'aurais a prendre a mon retour, si j'etais plus heureux. je cherchais a demeler si, a thebes, les arts avaient eu des epoques et une chronologie: s'il avait existe un palais en egypte, ce devait etre a thebes qu'il fallait en chercher les restes, puisque thebes en avait ete la capitale; s'il y avait des epoques dans les arts, les resultats de ces premiers essais devaient etre aussi dans la capitale, le luxe et la magnificence ne s'eloignant que progressivement de ce premier point, puisqu'ils ne marchent qu'avec l'opulence et le superflu.
enfin nous arrivames a karnak, village bati dans une petite partie de l'emplacement d'un seul temple, qui, comme on l'a dit, a effectivement de tour une demi-heure de marche: herodote, qui ne l'avait pas vu, a donne une juste idee de sa grandeur et de sa magnificence; diodore de sicile et strabon, qui n en virent que les ruines, semblent avoir donne la description de son etat actuel; tous les voyageurs, qui tout naturellement ont du paraitre les copier, ont pris l'etendue des masses pour la mesure de la beaute, et, se laissant plutot surprendre que charmer, en voyant la plus grande de toutes les ruines, n'ont pas ose leur preferer le temple d'apollinopolis a edfou, celui de tintyra [dendara ou denderah], et le seul portique d'esneh [esna]; il faut peut-etre renvoyer les temples de karnak et de louxor au temps de sesostris [ramses ii] ou la fortune venait d'enfanter les arts en egypte, et peut-etre les montrait au monde pour la premiere fois. l'orgueil d'elever des colosses fut la premiere pensee de l'opulence: on ne savait point encore que la perfection dans les arts donne a leurs productions une grandeur independante de la proportion; que la petite rotonde de vicence est un plus bel edifice que saint-pierre de rome; que l'ecole de chirurgie de paris est aussi grandiose que le pantheon de la meme ville; qu'un camee peut etre preferable a une statue colossale. c'est donc la somptuosite des egyptiens qu'il faut voir a karnak, ou sont entassees non seulement des carrieres, mais des montagnes faconnees avec des proportions massives, une execution molle dans le trait, et grossiere dans l'appareil, des bas-reliefs barbares, des hieroglyphes sans gout et sans couleurs dans la maniere dont la sculpture en est fouillee. il n'y a de sublime pour la dimension et la perfection du travail que les obelisques, et quelques parements des portes exterieures, qui sont d'une purete vraiment admirable; si les egyptiens dans le reste de cet edifice nous paraissent des geants, dans cette derniere production ce sont des genies: aussi suis-je persuade que ces sublimes embellissements ont ete posterieurement ajoutes a ces colossaux monuments. on ne peut nier que le plan du temple de karnak ne soit noble et grand; mais l'art des beaux plans a toujours devance en architecture celui de la belle execution des details, et lui a toujours survecu plusieurs siecles apres sa corruption, comme l'attestent a la fois les monuments de thebes compares a ceux d'esneh [esna] et de tintyra [dendara ou denderah], et les edifices du regne de diocletien compares a ceux du temps d'auguste.
il faut ajouter aux descriptions connues de ce grand edifice de karnak que ce n'etait encore qu'un temple, et que ce ne pouvait etre autre chose; que tout ce qui existe est relatif a un tres petit sanctuaire et avait ete ainsi dispose pour inspirer la veneration dont il etait l'objet, et en faire une espece de tabernacle. a la vue de l'ensemble de toute cette ruine, l'imagination est fatiguee de la seule pensee de le decrire: etant dans l'impossibilite d'en faire un plan, j'en tracai seulement une image pour m'assurer un jour que ce que j'avais vu existait; il faut que le lecteur se dise que des cent colonnes du seul portique de ce temple, les plus petites ont sept pieds de diametre, et les plus grandes en ont onze; que l'enceinte de sa circonvallation contenait des lacs et des montagnes; que des avenues de sphinx amenaient aux portes de cette circonvallation; enfin que, pour prendre une idee vraie de tant de magnificence, il faut croire rever en lisant, parce que l'on croit rever en voyant; mais en meme temps il faut se dire relativement a l'etat present de cet edifice que sa destruction defigure une grande partie de son ensemble; tous les sphinx sont tronques mechamment: fatiguee de detruire, la barbarie en a cependant neglige quelques-uns; ce qui a pu faire voir qu'il y en avait qui etaient a tete de femme, d'autres a tete de lion, de belier, et de taureau: l'avenue qui se dirigeait de karnak a louxor etait de cette derniere espece; cet espace, qui est d'a peu pres une demi-lieue, offre une suite continuelle de ces figures parsemees a droite et a gauche, ~ de murs en pierre, de petites colonnes, et de fragments de statues. ce point etant le centre de la ville, le quartier le plus avantageusement situe, on doit croire que c'etait la qu'etait le palais des grands ou des rois; mais si quelques vestiges peuvent le faire presumer, aucune magnificence ne le prouve.
louxor, le plus beau village des environs, est aussi bati sur l'emplacement, et a travers les ruines d'un temple moins grand que celui de karnak, mais plus conserve, le temps n'ayant point ecrase les masses de leur propre poids. ce qu'il y a de plus colossal, ce sont quatorze colonnes de dix pieds de diametre, et, a sa premiere porte, deux figures en granit, enterrees jusqu'a la moitie des bras, devant lesquelles sont les deux plus grands obelisques connus et les mieux conserves. il est sans doute glorieux pour les fastes de thebes que la plus grande et la plus riche des republiques ne se soit pas cru assez de superflu, non pour faire tailler, mais seulement pour tenter de transporter ces deux monuments, qui ne sont qu'un fragment d'un seul des nombreux edifices de cette etonnante ville.
une particularite du temple de louxor, c'est qu'un quai, revetu avec un epaulement, garantissait la partie orientale qui avoisinait le fleuve des degradations qu'auraient pu y causer les debordements: cet epaulement, repare et augmente en briques dans un temps posterieur, prouve que le lit du fleuve n'a jamais change; et la conservation de cet edifice, que le nil n'a jamais ete borde d'autres quais, puisque dans toutes les autres parties de la ville on ne trouve pas d'autres vestiges de cette espece de construction.
je fis, malgre l'ardeur excessive d'un soleil de midi, un dessin de la porte du temple, qui est devenue celle du village de louxor; rien de plus grand et de plus simple que le peu d'objets qui composent cette entree; aucune ville connue n'est annoncee aussi fastueusement que ce miserable village, compose de deux a trois mille habitants, niches sur les combles, ou tapis sous les plates-formes de ce temple, sans cependant que cela lui donne l'air d'etre habite.
pendant que je dessinais, notre cavalerie etait aux prises avec quelques mamelouks egares, dont ils en tuerent deux, et prirent les armes et les chevaux de ceux qui trouverent leur salut en gagnant l'autre rive a la nage.